The Little Big Band : un bocal de friandises

Texte et photos Philippe Desmond

Pascal Drapeau : arrangements, réductions, trompette, direction musicale / Franck Vögler : trompette / Garance Baltardive et Cyril Dubilé : trombone / Fred Couderc : sax alto / Alain Coyral : sax ténor / Cyril Dumeaux : sax baryton / Serge Moulinier : clavier / Christophe Jodet : contrebasse / Xavier Sauze : batterie / François-Marie Moreau : voix.

Tout a commencé près de Bordeaux, un soir « d’évènementiel », ces soirées organisées par des entreprises ou des sociétés. Un big band se produisait composé de musiciens venus de Paris, Toulouse… Un musicien bordelais présent s’est étranglé : « Mais pourquoi aller chercher ailleurs alors qu’on a tout ce qu’il faut ici comme musiciens de qualité ? » . Tout simplement parce que ce type de formation n’existe plus ici. Il est loin le Big Band Gironde qui illuminait certains festivals.

Alors ce musicien, Cyril Dumeaux en l’occurrence, a proposé à ses potes de monter un projet qui pourrait trouver sa place dans ces concerts de type « évènementiel » où la qualité est nécessaire mais le répertoire finalement assez classique. Des standards qui aguichent agréablement les oreilles d’un public qui n’est pas forcément « très jazz » et qui surtout n’est pas venu pour ça.

Le problème c’est qu’un big band – 18 musiciens au moins – c’est beaucoup de musiciens à payer et déclarer, de la logistique importante – transport, nourriture, parfois logement – alors pourquoi ne pas réduire un peu la voilure ? Ainsi le chiffre s’est-il porté sur dix instrumentistes et un chanteur. Une rythmique, piano, contrebasse, batterie, des demi-sections de vents, ici trois sax, deux trompettes et deux trombones.

Quelle belle idée, ça sonne terrible comme on a pu le constater pour ce concert « zéro » . Le répertoire ? Des standards de jazz vocal – mais pas que – donc Frank Sinatra, Dean Martin, Nat King Cole, Ella Fitzgerald… Des choses que tout le monde a entendues et qui plaisent dans ce genre de soirées. Le challenge ? Le faire avec une qualité maximale.

Alors l’arrangeur étalon de la région, le trompettiste Pascal Drapeau s’est mis au travail alors que l’équipe se montait. Oh ils ne sont pas allés chercher bien loin, la région regorge de pointures de la musique jazz. En plus des amis, souvent d’âge mûr et masculins. Surprise, bonne, la présence dans l’orchestre de la jeune tromboniste Garance Baltardive issue du Conservatoire de Bordeaux et qui entre en septembre au CNSM de Paris en jazz… classique ! Elle joue terrible s’accordent à dire ces messieurs.

Deux répétitions ; en trois heures ils ont réglé l’affaire de 17 standards ! Alain Coyral, le saxophoniste, me confie qu’ils sont tous de super lecteurs – de partitions – et que c’est facile pour eux. Je veux bien le croire mais attendons le concert.

Justement le voilà qui commence. La « scène » en plein air est installée sous une belle futaie non loin de la Garonne, magnifique. Nous sommes une cinquantaine de privilégiés pour le baptême de la formation. Ils n’ont pas encore leurs pupitres siglés « The Little Big Band », venus des USA (le pays des big bands) ils seront livrés le lendemain suite à un problème de douane, dommage. Les chemises blanches procureront l’unité esthétique de ce genre de formation. Et vous savez quoi ? D’entrée ça sonne magnifiquement ! Les arrangements – et réductions de 18 à 10 musiciens – de Pascal Drapeau sont d’une grande finesse, les soufflants dialoguent, se répondent. La rythmique ? Impeccable. Et devant le crooner, avec classe, talent, humour, séduction c’est François-Marie Moreau, parfait dans ce rôle. L’orchestre peut aussi jouer dans l’énergie, il le fait parfois, mais il n’est pas là pour cela, il est au service des chansons :, « Come fly with me », « Whitchcraft », « Mack the Knife », « Sway » et son rythme latino, « Fly me to the Moon », « Beyond the Sea », « Me and Mrs Jones » (fabuleuse interprétation), « I’ve got you under my skin », « L-O-V-E »… Un vrai bocal de friandises. Deux titres instrumentaux « Just Friends » et « On Green Dolphin Street » sont aussi au programme, libérant l’orchestre de la contrainte du chanteur (pardon FM) .

J’entends ici des voix disant « Mais tout cela c’est de la redite, du passé, où est la création ? » Parfois les mêmes qui vont vanter Miles, Coltrane ou Mozart, Bach, Chopin… A ce niveau d’interprétation, il suffit de s’approcher et de se laisser happer, l’innovation ce sera pour une autre fois. Là on déguste, comme un bonbon, celui qu’on aime depuis longtemps et dont on ne se lasse pas.

Alors pourquoi limiter ce projet à ce fameux « évènementiel » ? Sûr que des festivals ou des salles de concerts régaleraient leur public avec un tel spectacle.

En bonus le commentaire de Jean- Michel, grand amateur de jazz ( et de plein d’autres choses) et lui-même organisateur de concerts :

Cette formation et la musique qu’elle propose, le plaisir que l’on prend à les entendre, se révèlent comme autant d’évidences !
A se demander pourquoi personne n’y a pensé avant?

Une évidence que c’est un jazz « qu’on aime »; un jazz que, même ceux qui n’aiment pas ce genre musical, aiment tout de même.

Une évidence que personne n’a échappé à ces mélodies pour les avoir rencontrées dans nombres de films, de tours de chants, et dans les répertoires des plus grands et de quelques contemporains.

Une évidence que cette musique est une part essentielle du paysage musical du XXème siècle au même titre que le rock , la pop et le rap. Bien entendu les auteurs, les interprètes et les amateurs de la première heure sont passés à la postérité, mais il en va de même pour tout le répertoire « classique » comme il en sera de même dans quelques années pour les premiers fans des Beatles.

Une évidence certainement que ces grandes formations qui les ont créées, diffusées, méritent de trouver des successeurs pour les interpréter encore et encore pour qu’elles ne tombent pas dans l’oubli.

Une évidence qu’ils ( le Little Big Band) le font tellement bien, que « de toute évidence » il fallait le faire !

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