Sophie Alour quartet au Rocher
par Christine Moreau, photos Géraldine Gilleron.
Le Rocher de Palmer, mercredi 6 novembre 2024.
Sophie Alour : saxophone ténor, flûte et compositions / Guillaume Latil : violoncelle / Anne Pacéo : Batterie, percussions et chœurs / Pierre Perchaud : Guitare et chœurs
Le 06 novembre 2024, nichée au cœur d’une très belle programmation jazzistique concoctée par le Rocher de Palmer, Sophie Alour est venue présenter son 9ème album Le temps virtuose, paru il y a un an. Auréolée de nombreuses récompenses dont le prestigieux prix Django Reinhardt 2020 décerné par l’Académie du jazz, elle aime s’affranchir des conventions et a formé un quartet original sans piano ni contrebasse mais avec guitare et violoncelle. Pour mettre en scène son élégant opus, elle s’est entourée de trois excellents musiciens que nous retrouvons ce soir : Guillaume Latil au violoncelle, Anne Pacéo à la batterie et Pierre Perchaud à la guitare.
Sophie Alour est fascinée par le temps qui passe, qui façonne la perception du monde et accompagne l’artiste dans sa maturité. Elle a mis en musique ses réflexions en écrivant des morceaux millimétrés très charpentés mais épurés, dans une fusion admirable de styles. Ses sources d’inspiration passent par la musique classique, le rock, le folk, des rythmes africains et bien sûr le jazz. Au cœur du projet, il y a le violoncelle, elle en aime la sonorité. L’on pourrait de prime abord associer l’instrument à un jazz de chambre intimiste mais Guillaume Latil développe un jeu pizzicato au groove enivrant et nous séduit par la fluidité de son phrasé mélodique à l’archet.
Ce soir, la compositrice a choisi comme écrin à son jazz expressionniste une toile de fond sans fioritures : une palette de couleurs habille le quartet et le met en lumière.
Le concert a débuté avec Tout nu, les instruments montent en puissance en donnant le ton d’une formation qui déconstruit les codes. Ensuite, Des lendemains qui chantent permet à Guillaume Latil à l’archet de converser avec la Gibson de Pierre Perchaud et à Anne Pacéo de déployer son drumming singulier et énergique en soutien au son franc du ténor.
Nous changeons d’ambiance avec La chaussée des géants. Sophie Alour nous confie qu’elle aimerait découvrir cet endroit. Le morceau, extrait de l’album Enjoy, est gorgé de tonalités irlandaises. Il oscille habilement entre musiques du monde et influences rock, ré-arrangé ici pour les musiciens : de sublimes riffs de guitare plantent le décor avant que violoncelle et saxophone ne s’approprient la mélodie.
Sur un fond bleuté, Sophie Alour nous a ensuite présenté sa dernière composition Flocon, une épure gracile où chaque note est pesée, à sa place. Elle révèle ici toute la subtilité de son jeu au saxophone tandis qu’Anne Pacéo nous rappelle qu’elle jouit de l’une des frappes les plus inspirées du moment, chacune de ses notes est teintée de spiritualité.
Puis avec Vent debout, en hommage à ses origines bretonnes, Sophie Alour nous conte une nouvelle histoire toute en finesse et retenue. Les notes gambadent gracieusement sous la légèreté celtique de la flute et du violoncelle.
Avec deux morceaux que l’on pourrait qualifier de « genrés », Musique pour Messieurs et Musique pour Dames, la compositrice dévoile l’étendue de sa créativité : Le premier, sous courant alternatif joue fort et rock : Anne Pacéo lâche ses coups, Sophie Alour extrait un son puissant de son ténor tandis que le second, tout en délicatesse acoustique, sans batterie, magnifie son sens de la mélodie. Le duo guitare-violoncelle s’entend à merveille dans ces deux registres si différents.
Pierre Perchaud délivre un solo sur Sous tous les toits du Monde sur un rythme répétitif qui prend des couleurs folks, la voix de la flûte fait corps avec celle d’Anne Pacéo qui devient une soliste créative au discours élaboré et intense.
La mélodie entêtante et dansante de Dreamers clôture ce concert somptueux dans une effervescence joyeuse.
A la faveur du rappel sollicité par des applaudissements nourris, Sophie Alour a de nouveau rendu hommage au talent de ses musiciens avant de proposer les deux dernières compositions. La première, Petite anatomie d’un présent qui passe, a été écrite pour sa fille qui a « déjà » 11 ans : c’est encore un moment de grâce, Anne Pacéo s’est éclipsée, la voix ténue du ténor se déploie tandis que les accords déliés de Pierre Perchaud s’épanouissent avec poésie sur cette superbe ballade.
Enfin, avec son humour pince sans rire, elle nous a présenté le tonique et impétueux Roulotte (Duke Ellington a bien écrit Caravan !). Le morceau, coloré de fragrances ethniques, est introduit par un captivant solo de guitare. Réjouissant !
Le concert s’est déroulé dans une ambiance chaleureuse et enthousiaste, le plaisir de jouer et l’envie de partager étaient évidents. Nous étions hors du temps, fut-il virtuose, conquis par la profondeur de cette musique lumineuse et raffinée et par l’alchimie réussie de mélodies subtiles sublimées par la cohésion d’instrumentistes à la technique irréprochable. Un moment Inoubliable.
Set list :
-Tout nu
-Des lendemains qui chantent
-La chaussée des géants
-Flocon
-Vent debout
-Musique pour Messieurs
-Musique pour Dames
-Sous tous les toits du Monde
-Dreamers
-Petite anatomie d’un présent qui passe
-Roulotte
Galerie photos de Géraldine Gilleron