
Par Philippe Desmond
Opus 34, Bordeaux le 23 mars 2025
C’est un dimanche après-midi de début de printemps, apparemment banal, pluvieux comme souvent à cette époque mais heureusement la promesse d’un bon moment de jazz à l’Opus 34 dans la soirée. Il va s’avérer exceptionnel.
Curieux attelage pourtant que ce quartet annoncé. Un saxophone alto, jusque-là tout est normal, un piano… mais à bretelles ça se complique, un accordéon donc, un washboard et ses accessoires en guise de batterie, ça interpelle et une contrebasse en cuivre ou si vous préférez un saxophone basse, bel objet assez rare . Et ca va donner quoi tout cela ? Du bonheur, intense, joyeux, jouissif, du jazz, un jazz que tout le monde ne peut qu’adorer.
Alors entrons un peu dans les détails. Parmi les quatre je n’en découvre qu’un, le saxophoniste alto américain Patrick Bartley Jr, et quelle découverte. Mais il n’est pas un inconnu pour tout le monde, des collaborations avec Wynton Marsalis, Herbie Hancock, Emmet Cohen bien d’autres pour le jazz, avec Carole King dans un autre domaine, plusieurs nominations aux Grammy Edwards, le jeune saxophoniste de 32 ans, vu surtout son incroyable talent, devrait vite occuper un place importante. A l’issue d’une tournée européenne avec le Scott Kinsey Group, à jouer la musique de Joe Zawinul, il a rejoint son ami, rencontré à NYC, Stéphane Séva pour une tournée de swing ondulé comme aime à le dire le joueur de washboard.. Un musicien éclectique donc, capable de tout jouer et de façon inouïe. Dès l’entame du concert avec « Indiana » on a compris qu’on avait affaire à un costaud ; un son pur et chantant, de la puissance et de la musicalité, de la créativité et du lyrisme, un beau vibrato, tout cela avec une belle aisance, c’est un saxophoniste complet qui a digéré tous les codes de ses prédécesseurs et de Charlie Parker en particulier.

Mais il n’est pas seul, à ses côtés le sicilien Roberto Gervasi, un fantastique musicien capable de faire aimer l’accordéon à ceux qui regardent encore cet instrument avec condescendance. On avait eu la chance de le découvrir à la Guinguette Chez Alriq il y a deux étés. Il fait swinguer son accordéon à touches piano, tenant de sa main gauche une rythmique royale. Des accords osés, des changements de tessiture instantanés, c’est du très haut niveau. Son duo sur une ballade avec Patrick en particulier nous a bouleversés.

Derrière ces deux solistes une surprise, Fred Couderc qui a sorti un saxophone basse de sa collection. Pas souvent qu’on voit sur scène cet instrument, la première fois personnellement. Il est là pour assurer une partie de la rythmique mais pas seulement. Fred va nous offrir en effet quelques chorus mélodieux qu’on ne s’attendait pas à voir sortir de ce monstre de cuivre. Superbe.

Au fond, dés à coudre au bout des doigts, un Stéphane Séva rayonnant de joie de réunir ce beau monde et au drumming, pardon whasboarding, étincelant. Fantaisie des woodblocs, cloches et mini cymbale, accompagnement rythmique métallique enjoué et précis, on l’a tous trouvé particulièrement en verve. Et il nous a même fait profiter de ses qualités de crooner.

Et alors les quatre ensemble c’était quelque chose ! Un répertoire de standards, certes des plus classiques, mais les « Caravan », « Perdido », « Cute », « Cherokee » ont trouvé une nouvelle jeunesse, emportés par la fougue de Patrick Bartley, la virtuosité de Roberto Gervasi, soutenus par la rythmique originale de Fred et Stéphane. Fantaisie aussi avec cette arrivée de quelques mesures de « I need you babe » de Gloria Gaynor au milieu de « Perdido », d’autres citations en veux-tu en voilà. Emotion avec une version sublime du swing musette « Indifférence » en duo à l’accordéon et au C Melody de Fred (un sax entre l’alto et le ténor) sous les yeux admiratifs de l’Américain ; et oui en France aussi on a de beaux standards !
Ca faisait longtemps que je n’avais pas senti vibrer autant un public (salle comble, serrés comme de sardines), les ovations de fin de chorus n’avaient rien d’obligé ou de systématique, elles provenaient d’un besoin d’extérioriser son plaisir. L’Opus 34 qui depuis quelques mois fait vivre le jazz méritait un tel concert. Une ambiance de club, cette proximité, ce partage ça fait tellement de bien !
Un disque de ce concert devrait sortir en septembre et on sait déjà que des contacts sont pris dans la région pour revoir cette formation ; de bonnes nouvelles !
Spectacle en co-production avec Ideals Théâtre








