Matteo Bortone No Land’s
« A tree in the mist »
Par François Laroulandie
https://matteobortone.bandcamp.com/album/a-tree-in-the-mist
Matteo Bortone est un contrebassiste, bassiste et compositeur né en 1982 en Italie. Installé à Paris ou il a obtenu un Master de Jazz au CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique), il fut rapidement remarqué sur la nouvelle scène jazz, récompensé entre autres comme « meilleur nouveau talent 2015 » par le magazine de jazz italien Musica Jazz.
Il nous livre ici son deuxième album avec la formation Matteo Bortone No Land’s, « A tree in the mist » enregistré en 2024, après un premier opus « No land’s » sorti en 2020. C’est en outre son cinquième album en tant que leader et compositeur, après les inventifs « Travelers » (2013, 2015) en quartet (sax, guitare électrique, contrebasse, batterie, et un synthé en appoint) aux accents parfois free jazz, et le plus classique mais néanmoins très intéressant « Claro oscuro » (2018) en trio piano contrebasse batterie.
Pour « A tree in the mist », Matteo Bortone (basse électrique) s’est entouré de Julien Pontvianne (sax tenor), Benjamin Garson (guitares), Yannick Lestra (synthétiseur, Fender Rhodes) et Ariel Tessier (batterie), formant un collectif parfaitement complémentaire. Une évolution par rapport au précédent disque avec l’entrée d’un cinquième élément dédié au synthé, le passage de la basse à l’électrique, renforçant la coloration de l’album précédent, aux accents parfois rock. A noter l’intervention sur la plage 7 « Tosh » des cuivres de The Maverick Fanfare (Olivier Laisney à la trompette, Sol Lena Schroll au sax alto, Adrien Sanche au sax tenor, Paco Andreo au trombone).
« A tree in the mist » est l’aboutissement d’une démarche résolument introspective du compositeur, interprétation d’un extrait de Andrej Tarkovskij dans « Sculpting in time » cité en exergue de l’album. A tree in the mist (un arbre dans la brume), c’est l’image clairement définie de l’évènement signifiant du jour passé, qui émerge de la brume environnante des souvenirs estompés. La plage 6 « Panthéisme » convoque la doctrine métaphysique de l’unité du monde, conception déifiante de la nature. Le cadre ainsi posé signe une approche quasi mystique dont la musique se fait le vecteur sensible, au travers des compositions originales de Matteo Bortone, guide inspiré de cette exploration intimiste. L’alchimie particulière entre claviers, guitare, sax tenor, basse et batterie contribue à façonner un paysage musical qui n’hésite pas à explorer des voies novatrices et à transcender les catégories.
« No land’s » (non-lieu) renvoie au mouvement, à l’errance dans un paysage changeant qui nous transforme en même temps. C’est une exploration des sentiments intimes qui se révèlent lorsque l’on s’ouvre au voyage, réel ou imaginaire, aux souvenirs enfouis. Ce voyage est transformation de soi.
En préalable à l’écoute de ce disque, laissons de côté les attendus, préparons nous à accueillir parfois l’étrangeté, la surprise, les ruptures de tempo, les contrastes sonores nés de la rencontre du souffle mélodique plaintif du sax tenor de Julien Pontvanne et de la ligne rythmique constituée par la basse électrique de Matteo Bortone et la batterie de Ariel Tessier. Laissons-nous égarer par des lignes mélodiques parfois surprenantes qui sont comme autant de fausses pistes. Ne soyons pas surpris par l’introduction de dissonances parfois, du jeu de la guitare saturée de Benjamin Garson, des sons étranges du synthé de Yannick Lestra qui colorent ces plages musicales. Quant aux ostinati hypnotiques ils soulignent le caractère des compositions de Matteo Bortone qui assument parfaitement l’ouverture aux accents de rock métal et d’électro. Découvrons sans plus attendre un album résolument contemporain qui invite à l’exploration d’un imaginaire des traces du temps.
Dès la première plage « Jukurrpa » le ton est donné, une étrangeté introduite par les sonorités électro du synthé ; le voyage peut commencer.
« Counter Hit » accélère le tempo sur une base rythmique efficace et soutenue, les sons saturés aux accents de rock psychédélique et quelque ostinato entêtant.
« Okra » marque une rupture ; belle basse profonde au tempo lent en soutien d’une guitare aérienne aux accents parfois Pat Methenyens. Sept minutes de quiétude qui se fondent enfin dans le souffle du sax tenor.
« White Count » prolonge la plage précédente ; ouverture guitare solo au tempo lent et ligne mélodique portée par le sax qui s’efface dans un souffle.
Lenteur et apesanteur ressenties dans « Mnemosyne » avec une belle montée sonore au bout de quatre minutes qui mue au final en ostinato hypnotique.
Avec « Panthéisme » nous sommes au cœur du voyage. La rythmique efficace aux accents résolument rock côtoie le couple sax et synthé en route vers un maëlstrom aux accents métal obnubilants évoquant l’état de transe.
« Sud Sud Est », belle mélodie par guitare et sax, aérienne.
L’intro de « Tosh », une entrée en matière percutante de la base rythmique accompagnant une guitare saturée de rock métal qui culmine fortissimo avec les cuivres de « The Maverick Fanfare » aux tonalités dissonantes. Un tourbillon cyclonique irrésistible qui s’apaise au final.
La dernière plage « Hyades » renoue avec la ligne mélodique électro, sax et guitare, le calme après la tempête. Laissons la platine tourner au-delà des 6’30’’ annoncés pour découvrir une plage non indiquée, un épilogue aux accents rock avec une belle touche de légèreté.
A mon avis, un album à écouter et réécouter dans son ensemble pour en saisir la complexité des arrangements, sur un système audio de qualité pour apprécier la richesse des sonorités.