
La ferveur andalouse du Juan Carmona Quartet
Par Philippe Desmond
Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, vendredi 14 novembre 2025
Juan Carmona : guitare, compositions / Sergio di Finizio : guitare basse / Domingo Patricio : flûte, clavier / Isidro Suarez : percussions flamencas / Carmen Young : danse
Juan Carmona né à Lyon en 1963 a des racines gitanes, sa famille ayant quitté l’Afrique du Nord après son exil là-bas pour fuir l’Andalousie et le franquisme. Lui y reviendra, à Jerez de la Frontera parfaire sa culture flamenca. Premier album en 1996, neuf autres suivront dont le dernier « Laberinto de Luz » qu’il est venu nous jouer ce soir. Quarante ans de carrière déjà pour cet artiste récompensé par de nombreux prix dans le monde entier et des collaborations prestigieuses ; citons Sylvain Luc, Larry Coryell, Marcus Miller, Jan Garbarek, Subramanian, Baden Powell, Al di Meola… Ses œuvres « Sinfonia Flamenca » et « Orillas » sont jouées par les plus grands orchestres de la planète, de Sidney à St Louis (USA), en passant par Lyon, Taïwan, Moscou… Pour autant il reste près de son public et nous avions ainsi eu la chance de l’entendre chez Alriq en juin 2024 : Juan Carmona chez Alriq
Entame sobre du concert en solo pour Juan Carmona, l’occasion pour ceux qui ne l’ont jamais vu ou entendu de découvrir le guitariste incroyable qu’il est. Pouce et index pour la mélodie, les trois autres doigts pour l’accompagnement et les harmonies. Comment peut-on faire une si belle musique, mélodieuse, rythmée, sensible ou vigoureuse, avec une seule guitare ? Pas de démonstration technique alors que la technique est là, plutôt une exposition de sensibilité aux parfums voluptueux d’Andalousie.
Isidro Suarez rejoint le Maître, assis sur son cajon, le duo se transforme vite en quartet, la musique prend de l’ampleur avec l’arrivée du clavier et de la basse électrique de Sergio di Finizio. La flûte de Domingo Patricio, alternant avec son clavier, ajoute de la légèreté à ces rythmes tendus, à ces accents toniques. Le duende gitan arrive, dans le titre suivant il domine. Un morceau aux accents arabisants des origines, la fièvre flamenca qui monte, le rythme qui se fait binaire, rock presque, intense, intranse.
Juan Carmona nous a prévenu en début de concert, ils vont jouer le dernier album mais avec beaucoup d’improvisation – nous y sommes – cette dimension qui rapproche cette musique du jazz, cette musique de flamenco qu’on peut qualifier de blues andalou, une autre racine de notre genre musical fétiche. J’avoue ne pas être très fan du pur flamenco, une guitare, un chanteur, un ou une danseuse, c’est parfois assez raide pour moi. Ici je m’y retrouve, tout en gardant son énergie, la musique se fait plus ronde, plus humaine ; ce n’est que mon avis.
Sur le titre suivant Carmen Young, au début assise et discrète uniquement aux palmas, se jette sur le carré de danse aménagé sur la scène. Une évolution mêlant grâce et violence, un zapateado marqué de taconeos inouïs (martèlement des talons), des palmas gracieuses, des pirouettes éclair, une synchro parfaite avec les musiciens. Carmen interviendra deux autres fois, changeant de robe pour chaque tableau (une rouge Carmen, une noire à paillettes) ajoutant encore de la beauté esthétique à ses interventions. Cette jeune danseuse mexicaine est exceptionnelle.
La musique de Juan Carmona est une évolution du flamenco, sur un morceau on pourrait presque parler de progressive flamenco aux limites du free. Une modernisation qui conserve toutefois l’âme initiale. Il ajoute aussi dans un autre titre une dimension joyeuses avec des rythmes plus latinos. Et il illumine toujours de cette virtuosité au service de la musique qui fait de lui une référence mondiale du genre. Nous avons eu la chance d’être là ce soir.
- Prochain concert Luca Sestak trio : quand Chopin part vers le funk et Bach vers le jazz ! Auditorium, dimanche 23 novembre à 18h Luca Sestak réservation
- Programmation complète : Jazz et musiques du monde








