John Scofield Trio, l’Aventure Intérieure
Jazz à Pau
Texte et photos Vincent Lajus
Le Foirail, Pau le 12 Avril 2025.
John Scofield : un nom qui claque comme un coup de révolver.
Lorsque j’ai fait la connaissance du pistolero de la six cordes au début des années ’80, c’était à l’écoute de son live à Münich de ’77 en compagnie de Richie Beirach, George Mraz et Joe LaBarbera. La claque !
Un style nouveau, un univers d’une originalité sans pareille qui dénotait des guitar heroes déjà reconnus, en ont rapidement fait une référence dans le monde du jazz de l’époque et jusqu’à présent. Un jeu bluesy d’une profondeur sans fin, un son immédiatement reconnaissable (sur sa fidèle Ibanez Artist), un phrasé unique, mélodique, un jeu rythmique imparable et subtil, et des compositions alliant de multiples influences, du Blues à la Folk Song, des Standards au Funk, au Jazz Rock, voire au Rock. Bref ! Un musicien universel et incontournable.
Le grand Miles ne s’y est pas trompé en le recrutant pour ses albums « Star People« , « Decoy » surtout, dans lequel tout son talent est mis en exergue, et « You’re Under Arrest« . Il va ainsi tourner avec lui pendant trois ans et comme de nombreux musiciens qui sont passés dans le band du « Prince des Ténébres », sa carrière va décoller jusqu’au firmament depuis lequel il nous enchante toujours.
Pour le concert de ce soir dans le cadre de Jazz à Pau, c’est la formule en trio où il excelle qui a été privilégiée, en compagnie de Vicente Archer à la contrebasse et de son fidèle complice le grand Bill Stewart à la batterie.
Comme nous le précisera Stéphane Kochoyan en nous présentant les musiciens, John Scofield était déjà venu à Pau lors du festival Guitar Master en 1994 et tous ceux présents ce soir-là se souviennent forcément de son passage, ainsi que de la programmation qui incluait également John McLaughlin. Pour l’anecdote, à l’évocation de ce souvenir, le maître de cérémonie va nous faire un joli lapsus en annonçant John McLaughlin en lieu et place du Scofield ! Peut-être un acte manqué préfigurant un prochain rendez-vous ? J’en accepte l’augure fort goûteusement !
Pour ce soir donc, nous aurons droit à un programme issu pour partie de son dernier album, « Uncle John’s Band« , double album qui mêle comme bien souvent chez lui tous les goûts et couleurs de son univers. Après une mise en oreille avec « Blue Monk » et deux-trois autres titres binaires et/ou ternaires, c’est avec « Naima » que le concert va atteindre vraiment une autre dimension. L’âme du guitariste et la composition sublime de Coltrane s’harmonisent pour laisser les spectateurs du soir dans un état méditatif profond, preuve en est le silence quasi mystique qui suit la dernière note.
Le trio est fusionnel. L’art de la batterie de Bill Stewart, immense batteur certainement sous-estimé, sublime les jeux des cordes, autant celles de la guitare que de la contrebasse. Ses yeux révulsés, comme tournés vers l’intérieur font penser à un état de transe. Quant à Vicente Archer, ses expressions musicale et scénique ne dépareillent en rien l’intense démonstration de maîtrise de ses deux complices.
Le bonheur est total. De l’expression à l’état pur. Du swing, du groove : de la musique vivante ! Des inspirations magnifiées pendant deux heures avec les rappels.
Alors oui, bien sûr, ce n’est peut-être pas une musique facile, à consommer sur place et à oublier dans la foulée. Mais quand on parle d’Artiste, il y a Art à l’intérieur. « Il n’y a pas d’Art sans conscience » partageais-je un soir avec le grand Archie Shepp. Ce a quoi il opina du chef. De conscience ce soir il en fut question. Oui. Et cela demande peut-être un petit effort pour percevoir, ressentir et comprendre à la fois. Les quelques personnes qui sont passées devant moi (très peu, je vous rassure) pour quitter la salle avant la fin du concert ne vont certainement pas gâcher ces moments suspendus auxquels ces grands musiciens nous ont conviés ce soir.
Ah ! Peut-être juste un petit regret pour ma part – on ne se refait pas.. juste que le trio n’ait pas salué ensemble un petit moment à la toute fin, récoltant ainsi les lauriers des applaudissements si mérités, et permettant ainsi au public de les saluer et de leur exprimer plus fortement encore leur amour, en partageant et leur renvoyant ainsi tout celui qu’ils nous ont donné avec tant de générosité en ce soir du mois d’Avril. Merci Uncle John Scofield’ Band.