Jazz en Mars à Tarnos 1/2
Par Philippe Desmond, photos Vincent Lajus.
A Tarnos, Jazz en Mars fête ses vingt ans ! La programmation de ce millésime est à la hauteur de ce bel anniversaire. Quatre jours de jazz dans différents styles, du solo au big band avec pour maître d’œuvre la ville de Tarnos et pour programmateur-organisateur-chef d’orchestre Arnaud Labastie directeur de l’école de musique municipale.
Une très belle affiche au sens figuré et au sens propre le dessibatteur Jean Duverdier ayant, encore cette année, commis un visuel amusant.
Mercredi 12 mars
C’est la désormais traditionnelle soirée solidaire dont les recettes – participation à la volonté des spectateurs – sont entièrement reversées à une association. Cette année c’est « L’autruche sur un fil de soi » qui s’adresse à des enfants et des jeunes en situation de polyhandicap. Générosité, enthousiasme, échanges en sont les maîtres-mots. lautruchesurunfildesoi.jimdo.com
En première partie vont se produire des musiciens de 7 ans à peut-être dix fois plus, la plupart de l’école de musique locale que dirige avec maestria l’organisateur du festival Arnaud Labastie. Le jeune Isaac, 6 mois de piano, épate tout le monde en jouant « Cherokee » accompagné par son papa, le musicien Laurent Aslanian à la contrebasse. Célien, seul à la guitare, nous interprète avec sensibilité « Nature Boy ». Matty au sax alto en duo avec Arnaud Labastie, enchaîne avec « Topsy » avant que David Usabiaga professeur de guitare accompagné de sa fille Luna de 12 ans, explosive à la batterie, Julien Tastet à la basse et Arnaud au piano ne nous livrent une version dynamitée de « Watermelon Man ».
Place ensuite au big band de l’école de musique dirigé par Txomin Duhalde. Ils sont 16 dans une formation type, sections et rythmique et vont nous démontrer la qualité de l’enseignement ici.
« The Blues Walk » de Clifford Brown, « Uptown Swing » dans des arrangements très réussis mettant tout le monde en valeur puis l’arrivée d’une chanteuse, Miss Dominique que personne ici ne connaît mais qui va enchaîner « Why don’t you do right », « Misty » et « Fever » avec un réel brio et disons-le professionnalisme. Miles puis Wayne pour une prestation de réelle qualité de ce big band d’amateurs.
Nirek Mokar quartet
En deuxième partie c’est le retour ici du pianiste Nirek Mokar venu déjà quand il avait 16 ans ! Il en a 23 maintenant avec une carrière déjà très riche dans son style de boogie-woogie percutant.
Il est en quartet cette fois, sans contrebasse – sa main gauche en fera office – avec les habituels Claude Braud et son howling sax, Stan Noubard Pacha le guitariste bluesman et Guillaume Nouaux aux baguettes. Ce dernier étrenne ce soir ses nouveaux joujoux reçus la veille : cymbales, peaux, hardware et bien sûr batterie. Il est endorsé désormais chez ASBA, marque historique artisanale français qui vient d’être relancée. Visiblement tout cela fonctionne parfaitement comme le prouve son long solo dans un fabuleux « Monkey Man » ; époustouflant, lui et les autres. Un set joyeux emmené par le rythme fou et les ostinatos de Nirek, les riffs de Stan et la folie de Claude. Toujours un set très joyeux et libérateur !
The Three Wise Men
Deuxième soirée du festival avec comme toujours ici deux groupes programmés. Essayez de trouver un autre endroit où pour 20 euros (16 pour les Tarnosiens) vous pouvez assister à de telles programmations ; bravo à la ville qui fait beaucoup pour la culture.
Ils sont arrivés de je ne sais où dans leur break allemand au logo étoilé chargé d’une batterie complète, d’un vibraphone et de plusieurs saxophones. Pas de piano bien sûr, il les attend sur place. Tôt demain matin, ils repartiront jouer en Suisse, 1100 kilomètres… Trois hommes sages, The Three Wise Men, des références dans leur genre, du jazz dit classique, du jazz quoi ! L’Italien de New York, Rossano Sportiello un des rois du piano stride, les Hollandais Frank Roberscheuten saxophoniste clarinettiste de premier ordre et Frits Landesbergen batteur et vibraphoniste.
Loin du star system, ces trois musiciens sont tout bonnement exceptionnels. Frank, en français, nous présente le concert. Ils ne vont pas jouer les American Songs, les fameux standards, mais des European Songs, en ce moment c’est de meilleur aloi ! Ovation !
Ainsi c’est Verdi et un extrait de Nabucco qui vont ouvrir le concert, sauce swing bien sûr. Pas de contrebasse, la main gauche de Rossano se chargeant de la remplacer et de quelle manière ! Dans ce tour d’Europe, sax alto, ténor, clarinette aux mains et aux lèvres de Frank vont nous régaler avec des œuvres de Franz Lehar (Autriche), Franz Doelle (Allemagne), Chopin et sa Valse de l’Adieu en concerto jazz de piano et qui finit en « O Sole Mio »… et bien sûr le père européen de toutes les musiques actuelles, JS Bach. La France ne sera pas oubliée avec un medley du tonnerre mêlant Trenet et ce qu’il reste de ses amours en solo de vibraphone très émouvant, « les Feuilles Mortes » de Kosma, « C’est si bon » d’Henri Betti, « Nuages » de Django pour un crochet en Belgique. Rien d’original diront certains, certes pour le répertoire mais à ce niveau d’exécution c’est merveilleux. Aisance, grande classe, joie de jouer communicative, swing, sensibilité, partage, tous les ingrédients pour une autre ovation finale conclue par Frank avec un encourageant Make Europe strong again !
Ekep Nkwelle
On va changer de registre avec en plus une découverte, celle de la jeune chanteuse américaine née à Washington DC mais d’origine camerounaise, au nom si difficile à retenir et prononcer Ekep Nkwelle. Une étoile montante de 24 ans qui possède déjà tous les codes du genre, maîtrise de la voix, large tessiture, sens de la nuance, présence sur scène, dialogue avec le public. Arnaud Labastie l’a découverte avec Emmet Cohen et a aussitôt pensé à nous la proposer. Quelle bonne idée. C’est son tout premier concert en France et c’est à Tarnos (miracle permanent ici, demain ce sera le seul concert de Monty Alexander en France !). Elle est venue avec le jeune pianiste Julius Rodriguez, le contrebassiste Ameen Saleem et a recruté pour l’occasion le toujours spectaculaire batteur Mourad Benhammou. Il joue pour la première fois avec eux et lors des balances, auxquelles nous avons assisté, elle lui a donné avec une précision pointilleuse sa feuille de route ; il se permettra à notre grand joie quelques excursions hors-piste… Ekep va balayer les répertoires de Betty Carter, Shirley Horn, Abbey Lincoln à laquelle elle peut faire penser parfois, elle va chanter aussi Coltrane avec « Africa » , un très beau « Skylark »… Une très belle découverte avec ce set à l’américaine très pro et très en place. On va la revoir c’est sûr
La salle s’est vidée, très vite et déjà les techniciens (ils font un boulot magnifique d’efficacité) ont déplacé le piano côté cour, la batterie presque collée au tabouret, laissant un coin pour la contrebasse. les amateurs ont compris, c’est la configuration caractéristique pour le trio de Monty Alexander. Vivement demain !
A suivre…

Albert Changala « »Chang » et Serge Bianne les precieux techniciens