GREG BURK / MICHEL LAMBERT – WIND FORMS

Chez : TONOS Records

Par : Alain Fleche

Greg Burk : Piano, Percussions, Washint (flûte), M’bira (piano à pouces), Glockenspiel

Michel Lambert : Batterie, Percussions, Hapi drum (steel drum), Suling (flûte)

En juillet 2023, Michel rejoint son ami Greg à Rome pour enregistrer leur nouvel échange. Pour leur 6ème collaboration commune le sujet choisi porte sur les ‘Formes du Vent’. C’est une réelle relation d’amitié qui lie les 2 musiciens, ils partagent les mêmes centres d’intérêt, les mêmes préoccupations et les mêmes joies, et voici le résultat d’une discussion animée sur un thème inépuisable : le vent. Sujet majeur que l’on trouve déjà dés les premiers mots de la Bible, souvent traduit par le ‘Verbe’, et aussi dans les écrits de l’Inde ancienne sous le vocable ‘AUM’ qui est le souffle en tant qu’acte créateur. Le vent décrit le déplacement de l’air dans l’espace à l’occasion de rencontres air chaud air froid créant un mouvement irrégulier de faible amplitude à ouragan. L’air (donc le vent) par lui-même ne possède pas de couleur ni de son, il est perçu de par les objets et éléments qu’il frôle ou déplace. Il modifie les couleurs en jouant avec les nuages passant devant le soleil, même faible on le perçoit sur la peau et il peut transporter des parfums (et du sable, de l’eau…) qu’il rapporte de régions même très éloignées de nos sens. Finalement ce phénomène, de nature invisible, sans qualité propre, finit par solliciter les 5 sens !

Nos 2 musiciens utilisent leur 6ème sens pour en parler autrement.

Les lecteurs réguliers de nos chroniques connaissent bien Michel : batteur canadien, ami et collaborateur habituel de ses compatriotes François Carrier (sax alto, free-jazz) et de Alain Bédard (contrebassiste et directeur de la maison de disque Effendi). On a aussi déjà parlé de Greg, pianiste d’origine américaine : compagnon de Archie Shepp, Paul Bley, YusefLateef…

Les 2 protagonistes se connaissent depuis 1995, ils n’ont plus besoin de mots pour communiquer et se mettre au diapason, un idée, un regard, un sourire suffisent pour créer un contact, un lien, un espace que va remplir leur imagination fertile à l’aide d’instruments qu’ils maîtrisent parfaitement. Ils ne se contentent pas de ré-inventer le module piano-batterie, en ré-inventant la perception (et l’utilisation) même de ces instruments (privilège du génie!).

Leurs participations à différentes musiques (classique, jazz de toutes époques et tout horizon jusqu’au free-jazz le plus contemporain) leur apportent une large palette de sonorités et de langage, leur permettant de s’approprier et de développer tout se qui passe dans l’air.

Leur communication est une vraie communion ! Hors précision technique et profondeur émotionnelle qu’ils possèdent talentueusement, reste un feeling palpable où chaque note de l’un inspire la réponse judicieuse de l’autre, il en est de même avec des instruments dont ils sont moins expérimentés mais dont ils se servent pour inventer 5 interludes tout aussi captivants que les 7 thèmes qu’ils mettent en lumière.

Le 1er ‘Scirocco’, illustre une incertitude, un frémissement, des notes qui empruntent au romantisme avec des frappes qui semblent aléatoires mais sur des peaux finement accordées pour un accompagnement mélodique, installent une ambiance d’évènements à venir, comme la musique de Bernard Herrmann pour un drame d’Alfred Hitchcock… Prémisses d’une tempête de sable ?…

Puis : flûte et percu, invention de musique traditionnelle asiatique ?… Avant le réveil d’Éole :

‘Aeolian awwakening’, annonce une déconstruction de phrases, d’où jaillissent des relents de suites chers à T. Monk que ponctuent des accélérations contrôlées et ajustées des fûts qui poussent le piano à alimenter le vent qui se lève.

D’autres percus, d’ailleurs, un autre univers, autre temps, temps réguliers, contre le vent : stabilité. C’est ‘Harmattan’

Le vent est là, en pleine forme(s), titre éponyme de l’album, des notes plus serrées, aérées de coups simples et droits créant l’espace pour propager l’air que chevauchent les notes disparaissant derrière l’horizon. Des frappes franches on remplacées la douceur des balais et les caresses à mains nues sur les fûts pour soutenir les courants d’air qui passent, se croisent, avancent, tourbillonnent et s’élèvent en embarquant tous les fétus, feuilles et poussières qu’ils rencontrent.

Une ‘navigation nocturne’ oblige les duettistes à mener leur barque à vue, gros temps, les vagues sont un rempart qu’il faut franchir, les étoiles cachées de lourds nuages ne sont plus des repères, et vogue le navire !

Ensuite, duo de piano et percus diverses. ‘Saba’

Quelques coups de cymbales aériennes poursuivent un ‘Zephyrus’ qui prend de l’ampleur sur des notes pourtant atténuées se mêlant aux phrasés virils du piano… qui va finir en douceur l’histoire de ce vent capricieux

Duo de flûtes pour un ‘Alize’ organique.

Impro totale, discussion passionnée, des arguments contradictoires résolus dans une harmonie dont ne se démarque rarement les 2 complices. ‘Williwaw’

Hapi drum, flûte et piano sur ‘Elephanta’ (une ile proche de Mumbaï?). Exotique.

‘Eurocyldon’, un vent violent, qui faillit coûter la vie à Paul croisant vers l’Italie. Les 2 instruments semblent en opposition, en confrontation, à ne plus savoir d’où vient le vent, encore moins vers où ! On se lance la balle qui rebondit d’une main à l’autre sans toucher le sol. Acrobatie, haute voltige, tours de passe-passe, les 4 mains se mélangent, piano percussif, frappes mélodiques… Encore quelques notes de Monk avant le final :

‘Lost time’, pas pour tout le monde ! Harmonies pianistiques démontées par des coups de boutoir assénés sans retenu, et se bousculent. Un temps perdu à rêvasser. sans s’endormir. Dernier coup de vent pour nettoyer la place, comme d’un coup de balai avant la fermeture… Grandiloquence intime… Clin d’œil des artistes qui se reverrons bientôt !?

Heureux d’avoir partagé cet échange de notes à la volée. Vents de terre inconnues, vent de mer dans tous ses états. Un vent entre les oreilles pour nettoyer la poussière accumulée pour entendre d’autres sons improbables, surprises du renouveau. Envie de n’écouter que de belles choses comme celle-ci et ne plus s’encombrer de fadeur…

Vive la Beauté, simplement universelle !

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