
Par François Laroulandie, photos Christine Sardaine et FL
Festival (Be)Holiday, samedi 23 août 2025. Action Jazz toujours là pour rendre compte de ce qui se passe en Aquitaine, pour la deuxième journée à Mios…un programme bien chargé.
Ça commence à la Salle des Fêtes avec un atelier d’initiation danse swing proposé par l’association de Mios MT Danses, en préparation du grand bal de clôture du festival, ce soir avec les Claribol Stompers

C’est également l’occasion de voir les expositions autour de la musique et les musiciens ; peintures originales et une superbe série de photographies d’instruments en noir et blanc aux lignes épurées.
Ça continue avec Serge Balsamo qui nous propose une histoire de la guitare, une conférence musicale, accompagné de ses complices d’hier soir, à savoir Jonathan Hédeline (guitare basse) et Eric Pérez (batterie), rejoints sur scène par Alienor au chant, issue de l’Ecole de Musique de Talence où enseigne Serge, et par Valentin Foulon-Balsamo cette fois au clavier.
Comment débuter une histoire de la guitare sans citer le légendaire Robert Johnson, celui qui fit un pacte avec le diable, qui incarne le blues profond du Mississipi ? Et Serge de se lancer dans un ‟Sweet home Chicagoˮ sur sa guitare à résonnateur Dobro, chanté avec conviction par Alienor que nous entendons pour la première fois. Sa voix veloutée, à la fois douce et puissante, sa présence magnétique, le public est sous le charme. L’histoire avance à grands pas, déjà l’invention de la guitare électrique par Georges Beauchamp, puis une évocation des années soixante, Scotty Moore le guitariste de Elvis Presley et très vite la conférence se transforme en mini concert, à la demande générale. Il est vrai que l’ambiance intimiste _scène de poche, proximité avec le public peu nombreux, et surtout la voix de Alienor_ suggère de privilégier le plaisir de la musique d’autant que le temps nous est compté avant le début des concerts sous la Halle.
Déjà les années soixante-dix avec ‟Aint no Sunshineˮ de Bill Withers puis ‟Do I need Youˮ de Ann Peebles (1974), une incursion avec un standard ‟There will never be another youˮ, tous interprétés magnifiquement par Alienor bien entourée, et pour clore ce moment sympathique, morceau décidément fétiche de Serge, ‟La Javanaiseˮ. Bien agréable conférence pour une après-midi ensoleillée, et surtout une belle découverte avec une chanteuse que l’on espère avoir l’occasion d’entendre bientôt sur scène.

19 heures, la Halle accueille le groupe Pirate :
Christophe Maroye, guitare
Pascal Faidy, saxophone tenor
Laurent Vanhée, contrebasse
Philippe Valentine, batterie
Au programme de ce set un hommage au quartet de John Scofield et Joe Lovano, ce duo mythique entre le guitariste et le saxophoniste des années quatre-vingt-dix. D’emblée nous sommes scotchés sur nos sièges. Fermant les yeux le son de la guitare de Christophe Maroye fait des miracles, nous y sommes, ça sonne et même très bien. Pascal Faidy au sax tenor n’est pas en reste et les deux compères rivalisent de chorus plus éblouissants les uns que les autres, un régal. Sans oublier Laurent Vanhée à la contrebasse qui joue autant de l’instrument que de son corps ; ça claque, c’est précis et profond en même temps. Et la batterie, avec Philippe Valentine aux baguettes ça déménage, fait presque trembler les murs, par bonheur il n’y en a pas. Dentrée de jeu nous sommes pris par la puissance et l’énergie qui émane de ce quartet qui donne tout ; leur plaisir et liberté de jeu signent une évidente connivence.

Les titres de John Scofield se succèdent avec aisance : ‟Since you askedˮ introduit par Christophe en notes glissantes et réverb qui s’installe en blues, une contrebasse en solo expressif, de notes qui claquent au son rond et plein ; ça continue en trio, guitare et batterie prenant le train en marche vers une forme blues-rock percutante. Suit ‟Peculiarˮ, où le sax plein, rauque parfois, de Pascal Faidy nous atteint au cœur, un groove qui nous prend littéralement.
‟Let’s say we didˮ, un superbe morceau au tempo mesuré, presque un slow aux glissandos de guitare et saxophone en phrasés empreints de nostalgie ; une belle ambiance accompagnée par contrebasse et batterie surplombant l’ensemble. Changement de tempo, sur des accents de blues rock bien trempé qui incite à se lever de son siège, un ‟Thieves in the templeˮ où la guitare joue de contrastes, tantôt plaintive, tantôt rauque, tantôt ciselée tantôt saturée ; belle prestation de Christophe Maroye. Dernier titre déjà ! ‟Weeˮ, aux intonations de mambo très dansant qui vrille ensuite en complexités virtuoses, introduit par une batterie décidément très en forme Philippe Valentine assure vraiment et toujours cette puissance avec une facilité déconcertante. Première partie de soirée superbe jouée pour un public peu nombreux mais réceptif, un concert que je ne suis pas près d’oublier.






Carnegie Hall, 27 mars 1948. Ce soir là se produisait devant une salle pleine à craquer Billie Holiday, quelques jours seulement après sa sortie de prison pour détention de drogue. L
‘accompagnaient alors un quartet de musiciens ; Bobby Tucker au piano, John Levy à la contrebasse, Remo Palmieri à la guitare et Denzil Best à la batterie. Un concert qui na pas été enregistré, comprenant pas moins de six rappels.

Un peu d’histoire ne fait pas de mal. C’est Daniel Dumoulin qui apporte un éclairage détaillé sur les conditions particulières de ce concert mythique de 1948, qui donne à comprendre ce que fut la vie tragique de Billie Holiday. Une intervention bienvenue qui affûte l’intérêt du public et prépare une écoute plus sensible. C’est la chanteuse Natacha Kanga, qui partage sa vie entre Toulouse et Berlin, qui ce soir va nous replonger dans le répertoire de ce concert historique. Elle est entourée pour ce défi de taille de quatre musiciens dexpérience :
Michel Parmentier : piano
Marc Alibert : guitare
Louis Navarro : contrebasse
Daniel Dumoulin : batterie





Comme à New York, le concert débute avec un standard, ‟I cover the waterfrontˮ ; et de suite mes doutes s’envolent à l’écoute de Natacha, qui incarne totalement les paroles, sa voix au service d’une interprétation toute personnelle. Et quelle voix ! Ample, claire, puissante, qui se joue des octaves, capable de forte retentissant aussi bien que de douceur languissante.
Les titres s’enchaînent fidèles au répertoire chanté par Billie ce fameux soir, ‟I cover the waterfrontˮ, ‟Deed I doˮ, ‟Billie bluesˮ, ‟Good morning hectacheˮ. Un standard, ‟All of meˮ est l’occasion d’apprécier le soutien parfaitement efficace du quartet sur un tempo très swing d’ailleurs certains n’attendent pas le bal swing pour sélancer dans les travées un quartet au service du chant qui ne se prive pas pour autant de s’arroger quelques chorus bien enlevés, ici le piano en arpèges bondissantes. Après un ‟Blue moonˮ ovationné par le public, plongée dans l’univers glaçant d’un ‟Strange fruitˮ, réquisitoire contre la ségrégation et les lynchages d’afro américains aux Etats-Unis dans les années trente, chanté par Billie Holiday pour la première fois en 1939 à New York : ‟Southern trees bear strange fruit, …., Black bodies swinging in the southern breeze…”. Un titre arrangé par Daniel Dumoulin qui a troqué ses baguettes pour une paire de mailloches au son feutré ; tempo tribal, climat inquiétant, contrebasse qui claque, piano et guitare à l’unisson d’un thème tragique. Emotion toujours mais avec plus de légèreté dans ‟Them there eyesˮ, avant d’entamer un thème gospel, ‟God bless the childˮ qui révèle toute l’étendue de la tessiture de la chanteuse. ‟Night and dayˮ et en suivant ‟Your motherson in lawˮ sont le cadre d’une séquence scat agrémentée de vocalises soprano, puissance et soin du détail, le piano part en boogie, quel swing !
Les titres s’enchaînent avec une apparente facilité ; ‟Foggy dayˮ, ‟You don’t know what love isˮ et bien sûr un titre associé à Billie Holiday, ‟Lady sing the bluesˮ ovationné par un public sous le charme. Au rappel Natacha Kanga seule sur scène entonne le standard des standards, un ‟Summertimeˮ a capella où tout est là, le souffle, la puissance et l’émotion. Sans transition la formation au complet enchaîne un ‟Love me or leave meˮ sous les applaudissements. Un franc succès pour ce projet dont c’était la septième représentation ce soir, envoûtés par la voix et la générosité de Natacha, entourée par un quartet d’excellents musiciens.

La soirée n’est pas terminée, et parce que je jazz c’est aussi la danse, place au grand bal swing pour clôturer la soirée avec les Claribol Stompers venus de Bordeaux : Denis Girault à la clarinette, Geoffroy Boizard et Ludovic Langlade aux guitares, Nicolas Dubouchet à la contrebasse et Yann Vicaire à la batterie. Un répertoire entre morceaux swing et jazz manouche joués par une formation dynamique qui va entraîner danseurs et auditeurs jusqu’à une heure avancée. Une riche idée de la programmation pour terminer dans une belle ambiance festive. A l’année prochaine !






