
CAGOULES ET DÉCALCOMANIES
Chez : Neuklang
Par : Alain Fleche
FANNY MENEGOZ : Flûtes, Chant, compositions / NICOLAS STEPHAN : Saxophones, chant, compositions / THÉO GIRARD : Contrebasse, chant / RAFAËL KOERNER : Batterie
… Où l’on retrouve le contrebassiste et son ancrage solide autour duquel gravite 3 autres lascars pour nous offrir une musique bien de notre temps, du jazz actuel, moderne et inattendu, quelques pincées de l’ ‘école de Canterbury’, de la poésie, du rêve. Théo avait tendu un pont entre le vieux continent et le nouveau monde dans ‘La rivière… ‘, récemment chroniqué ici, aujourd’hui, c’est plus au sud que vise ce nouveau projet, dans une ambiance ‘paix apparente et feu qui couve’. On y retrouve, ou découvre dans ce quartet doux amère, des musicoens qui se connaissent bien :
Fanny Ménégoz, fondatrice ce la ‘Cie Haoma’, du groupe ‘Nobi’, elle bosse avec Raphaël Koerner en duo, participe à ‘Fanfare XP’ de Majic Malik, ‘ONJ’ de Fred Maurin, ‘Healing Orchestra’ (brûlot libertaire)… entre autres. Un son pas toujours bien droit mais quelles belles histoires où le temps devient élastique, que racontent cette flûte !
Nicolas Stephan, aussi écrivain, cofondateur du ‘Surnatural Orchestra’ et du ‘Bruit du sign’, est installé dans un jazz résolument contemporain. Il a assimilé son ‘Steve Coleman’ bien déjanté, et une technique de polyphonie sur son sax, remarquable.
Théo Girard contrebassiste dont on a parlé précédemment (voir ‘La rivière coulera sans effort’), rigoureux et inventif, autant dans son jeu que dans ses compositions…
Et le batteur Raphaël Koerner, au répertoire éclectique, on l’entend dans l’ONJ depuis 2019, dans ‘Dune’ avec Fanny, et explore de nombreuses routes avec divers artistes : ONJ, ‘Big Four’, ‘Cartel carnage’…
Donc, des gens qui se pratiquent depuis un moment et se rejoignent dans un son qu’ils construisent ensemble.
Disque en forme d’hommage aux zapatistes mexicains (cagoulés) croisés en 2017 par Nicolas et Fanny, avec des souvenirs de décalcomanies, tatouages éphémères qui couvrent la peau des enfants. Les enfants qui s’inventent des jeux, des chansons, des futurs… Qui découvre le désaccord, puis la révolte dissimulée puis grandie sous des cagoules qui cache l’identité particulière pour s’exprimer au nom de tous ceux qui se battent au nom de la liberté.
Disque né de la volonté de jouer, de dire, coûte que coûte, la fureur contrôlée, tempérée, pour grossir la voix du monde qui gronde face à l’injustice et aux conflits qui minent l’humanité.
Plus que de la musique, une expérience musicale. Une écriture vite dépassée pour se l’approprier. Un son acoustique, brut, sans effet. Et des textes, heureusement imprimés dans un livret simple mais indispensable pour suivre la voix des (presque) chanteurs (comme ils se définissent eux-même), à la limite de l’impro. libre, si ce n’étaient les duo en tutti pour nous démentir, comme dans :
‘Tendres taureaux’. Sur une trame distendue, pleine de trous et de bosses, la flûte flotte au-dessus, invente des nuages et du vent. La contrebasse converse avec la batterie avant le chant en français puis en anglais. Reprise du thème dodécaphonique à cloche-pied.
‘Kayou’ (dans la chaussure?). Rythme tribal, batterie et contrebasse se tiennent ensemble pour laisser la flûte et le sax faire des arabesques où s’immisce un chant créole surréaliste.
‘Ernest Walker’ est un indien zapatiste de la montagne face à sa réalité… Chant ponctué de contrebasse et flûte.
La flûte introduit le titre éponyme de l’album ‘Cagoules et décalcomanies’. Un poème pour rester un enfant pur devant l’oppression, une forme de rébellion. Un enfant qui se fabrique une chanson pour se ‘déguiser, camoufler, cacher, cagouler’. Ritournelle qui devient litanie monocorde, obsédante, qui semble ne jamais finir, comme la lutte contre l’imbécilité. Les musiciens en profitent pour se lâcher et partir dans tous les sens… vivre ! Belle et forte intervention du ténor âpre et fougueux.
1,2,3, soleils à la main’. Instrumental coloré et joyeux. Sax et flûte solaires se croisent dans une course époustouflante. Batterie exotique enflammée, contrebasse des îles latines.
‘Zwiv la’. Encore du créole (traduit en français dans le livret), pour conter la vie et la mort de la Wouivre, poésie hermétique et éphémère d’auto-destruction sisyphéenne. Le chant est beau et puissant, le sax est vraiment bon, à suivre !
Des chansons à tiroirs qui paraissent simples dont s’emparent les acteurs-musiciens pour franchir les limites floues de leurs larges possibilités artistiques. Un bonbon acidulé pour des enfants pas trop sages.







