Chez : Circum-Disc

Par : Alain Fleche

Jean-Luc Guionnet : Sax Alto

Jérémie Ternoy : Claviers

Ivan Cruz : Guitare

Peter Orins : Batterie

Toc, trio lillois, travaille sur le son depuis 15 ans, démarche basée sur l’énergie du rock expérimental, l’imprévisibilité de la musique improvisée et une recherche permanente de l’excès. Une voie qui n’est pas sans rappeler celle de l’écurie ‘Coax’, nous y reviendrons. Toc invente une musique tellurique, chthonienne, mouvante comme de la lave, faite de flux, ruptures et accumulations provoquant un chaos hypnotique qui se nourrit du choc entre les sons exacerbés des instruments en fusion.

Pour ce disque en public, le groupe invite Jean-Luc Guionnet, saxophoniste, organiste, compositeur et plasticien. Il a participé aux expérimentations du groupe free ‘Hubbub’ , au projet in situ ‘Muzzik’, dans une exploration électro-acoustique et radiophonique, autant physique que conceptuelle, déplaçant la perception de l’écoute en déployant un souffle ravageur en tempête furieuse qui emplit l’espace. Démarche proche de celle du ténor Antoine Viard entendu (entre autres) sur l’album ‘Pipeline’  chez ‘Coax’.

De même, la guitare saturée et paroxysmique de Ivan Cruz peut s’apparenter à celle de Julien Desprez du même collectif (Coax), consolidant ainsi un courant vivant, fort de nombreux autres éléments actifs et divers,  réfléchissant un cataclysme annoncé qui nous plonge dans des interrogations existentielles, contradictoires et déconcertantes. Yvan est un guitariste engagé qui a joué avec Tom Rainey, Mérédic Colignon, Marc Ducret, Edward Perraud et bien d’autres cherchant aussi passionnés et passionnant…

Le piano classique de Jérémie Ternoy (aussi enseignant), s’est transformé en Fender Rhodes et en piano basse (effet basse électrique) en se frottant aux expérimentations transversales de Sylvain Kassap, Hamid Drake, Christian Vander…

Il joue ici le rôle du dragon aux aguets, surveillant le moment propice pour sortir de sa caverne,  paupières mi-closes, puis, suivant ou initiant un élan ravageur, ouvre grand la gueule et déverse des fleuves de flammes, fait jaillir des volcans en éruption, qu’il déverse dans le brasier  commun, le décuplant en torrent incandescent.

Quant à Peter Orins, actif dans le jazz lillois depuis les ‘90, a joué avec  Sophie Agnel, Didier Lasserre, Jean-Luc Guionnet,  Benjamin Duboc, Joe Morris, Ernest Dawkins, Michael Zerang, Jacques Di Donato, François Corneloup …, est à l’origine de la création des collectifs Circum, Crime, participe à Muzzix… Sa batterie est une forge, coups de masse qui (dé)forme le métal, assomme les peaux de frappes vengeresses et terribles, martelant un rythme sauvage et hypnotique, induisant un brouet fumant où se noient les autres instruments qui se débattent pour émerger de cette chape de métal fondu qui les contient et enfin les libère. Forgeron, bûcheron infatigable qui, finalement, élargit le cadre de liberté où s’engouffrent les fabricants de vagues folles balayant les dernières certitudes.

Le titre, oxymore surréaliste et absurde, est emprunté à la phrase ‘Impossible’ de Noam Chomsky, histoire de brouiller encore plus les tentatives de recherche de stabilité… Faut se laisser aller, se laisser envahir par ce b(r)ouillonnement incontrôlable qui sape toute velléité de raisonnement, et entendre enfin le rugissement vindicatif des combattants qui resteront toujours debout et nous entraînent dans la lutte pour la Liberté.

Une musique certes pas pour toutes les oreilles, ni pour toutes les heures du jour ou de la nuit, mais, embarqués dans le flot torrentiel de la transe trempée de provocation, de construction-destruction, d’effondrement d’acquis imposés, de goûts incertains, d’envies raisonnables… c’est une musique qui finit par être joyeuse à force d’être sombre et laisse entrevoir une lueur d’espoir de bonheur derrière les lourds nuages acides qui engluent notre quotidien, lueur qui deviendra un soleil lorsque les vents de revendications auront chassés le brouillard  étouffant de lois, règles et commandements abusifs et inhumains.

33 minutes d’immersion, c’est du feu qui réchauffe si on ne s’y brûle pas !

Une expérience dangereuse mais séduisante et finalement : jubilatoire.

https://circum-disc.bandcamp.com/album/quelques-id-es-d-un-vert-incolore-dorment-furieusement