Portrait publié dans la Gazette Bleue #13 de novembre 2015.
Par Philippe Desmond.
En entrant dans le salon impossible de le rater, il est là majestueux dans sa belle livrée noire, entouré d’instruments, une batterie, des guitares, une contrebasse, un piano droit ; il a voyagé dans toute l’Europe et maintenant il s’est posé ici à Bordeaux, finis les voyages, finis les transports fastidieux et risqués pour lui, il est entre de très bonnes mains. « Il » c’est un piano à queue Yamaha, un vrai pas un quart, LE piano que Chick Corea et Jacky Terrasson ont utilisé pendant des années lors de leurs tournées en France et en Europe ; il y a d’ailleurs leurs dédicaces à l’intérieur. Les bonnes mains qui l’utilisent désormais sont celles de Francis Fontès qui l’a racheté d’occasion ; « une bonne affaire » s’empresse-t-il de dire. Ce piano résume presque à lui seul la vie musicale de Francis ; la qualité et la recherche permanente de la perfection.
Francis est né en Guadeloupe – d’ailleurs notre entretien va se faire autour d’un verre d’un produit local réputé – et y a commencé le piano classique, tard me dit-il, à dix ans. Un frère ainé déjà pianiste de jazz lui donne le virus et lui fait découvrir cet univers.
A douze ans lors d’un long séjour en Métropole à Bordeaux il assiste au concert de Miles Davis au Français donné en novembre 1971 ; Keith Jarrett est au Fender-Rhodes… Cet évènement est fondateur pour lui et désormais il va travailler à fond sa technique et sa culture musicale.
Retour en Guadeloupe, collège, lycée et seul il effectue un travail intense sur son piano ; du jazz donc mais aussi du classique ; plus de quarante ans après ça n’a pas changé. Il joue et apprend avec le regretté guitariste André Condouant qui a collaboré avec les plus grands ; celui-ci lui explique les harmonies, les impros et l’expression « travail intense » revient dans notre conversation… Il côtoie là-bas le pianiste Alain Jean-Marie qui lui aussi a des références majeures. Le piano est en train de devenir sa vie.
Mais les études supérieures l’appellent à Bordeaux, des études de médecine s’il vous plaît. Travail intense bien sûr – vous aviez deviné – les cours de médecine et de piano classique en parallèle, rien d’autre ! Mais le samedi soir se passe chez Jimmy où l’on ne joue pas de Chopin mais du jazz, nous sommes en 76-77.
En 1980 les études de médecine sont bien lancées alors il participe à son premier groupe, un sextet fondé par le trompettiste, désormais tromboniste à pistons, Patrick Dubois : Jazz Connection. Les bars, les clubs de jazz sont encore nombreux à l’époque : le Jimmy bien sûr mais aussi les Argentiers, l’Arrache-Cœur, l’Alligator, le Jazz Pub. Epoque dorée pour le jazz vivant et les jams où les musiciens pouvaient se rencontrer dans des endroits fixes et partager.
1989 voit la naissance d’un nouveau groupe, toujours en activité, Affinity Quartet avec Dominique Bonadei à la basse, Philippe Valentine aux baguettes et Hervé Fourticq au sax. L’apprentissage continue confie Francis ; on a bien compris que pour lui il ne s’arrêtera jamais.
Entre temps il est devenu rien moins que docteur en radiologie, métier qu’il exerce toujours bien sûr. D’où son surnom « Doc » qui n’est pas usurpé du tout. Maladie familiale, ses deux frères, ainé et benjamin, étant eux aussi médecins, pianiste et contrebassiste de jazz…
Deux carrières au top niveau à mener de pair ? « Simplement une question d’organisation ». A Bordeaux s’en suivent des collaborations avec les musiciens locaux qu’il apprécie tant, Roger Biwandu, Olivier Gatto et Shekinah, Nolwenn Leizour, Mickaël Chevalier (« quel travail il nous a donné pour son dernier concert ! »)… mais aussi avec Ernie Watts pour deux concerts, un quatre mains avec Jacky Terrasson, des concerts avec Francis Bourrec, le guitariste Philippe Drouillard, John Patitucci… Quelques jolies références.
A la question posée sur ses influences musicales fuse la réponse « Miles, Miles, Miles » ; c’est clair et net. Mais il la complète vite par ce qui constitue son socle : Herbie Hancock, Bill Evans, Chick Corea, Mc Coy Tyner, Keith Jarrett pour les pianistes et aussi Wayne Shorter, John Coltrane… Même langage même si les musiques sont différentes.
Pour les entendre il parcourra les festivals d’été de Paris à Vienne en passant par Nice, Antibes… Quelle passion ! Non, Francis rectifie : « La musique et le piano ne sont pas une passion pour moi, c’est ma vie, c’est moi, je pense musique » ; ah pardon… Son entourage le sait lui offrira en 2010 un beau cadeau, un billet d’avion pour New York pour le concert des 70 ans d’Herbie Hancock au Carnegie Hall !
Des projets ? Pas le temps mais toujours une activité intense. Jouer bien sûr – le niveau des musiciens n’a jamais été aussi relevé constate-il – mais aussi partager comme récemment avec Valérie Chane-Tef qu’il a conseillée pour le dernier album d’Akoda Instrumental. Francis Fontès ne compose pas mais il adore écrire des arrangements, déstructurer, restructurer. Il regrette, malgré tous les excellents musiciens actuels, l’absence de vrai courant novateur.
Notre entretien touche à sa fin, je n’ai même pas levé la tête et Francis l’a remarqué ; « tu n’as pas vu au-dessus de toi ? » En effet comment ne pas l’avoir remarquée, une grande mezzanine en forme de… piano à queue me surplombe !
On s’approche du vrai piano, celui de Chick et Jacky, Francis en soulève le capot digne d’une Jaguar type E et bien sûr se met à jouer : un titre de Michel Petrucciani, puis « le Temps » d’Aznavour réarrangé par ses soins et «Around Midnight » pour finir. Je comprends alors pourquoi il n’aime pas trop jouer sur les claviers électriques.
Vous n’avez jamais entendu Francis Fontès ? Alors n’hésitez pas guettez les concerts où il sera, vous pourrez en plus mesurer les progrès qu’il aura fait car le « Doc », toujours en quête du meilleur, reprend depuis peu des cours de piano !