Portrait paru dans la Gazette Bleue #14 de janvier 2016

Par Philippe Desmond

Le trompettiste tout-terrain

Le grand orchestre d’Aimé Barelli est au sommet de son art, ce soir il accompagne Sacha Distel et dans la salle le petit Frédéric admire son père premier trompettiste de la troupe et aussi violoniste. Pas loin de lui une jolie petite fille prénommée Caroline, qu’il a quelques fois l’occasion de rencontrer, est là avec sa maman Grace et son papa Rainier. Nous sommes à la fin des années soixante au Sporting de Monte Carlo où sa famille est installée, Jean-Octave Buzon faisant partie de ce bel orchestre résidant au grand casino monégasque.

C’est encore l’époque de ces belles formations de variété dans la lignée des Ray Ventura ou Fred Adison. Certes on ne peut pas la comparer aux big bands du Duke ou du Count mais on y trouve de formidables musiciens. Un tout jeune batteur y joue depuis l’âge de 15 ans, Dédé pour les intimes, un certain André Ceccarelli…

Freddy est bordelais de naissance, né en 1960 – “il me manque encore 60 trimestres pour la retraite” me dit-il dans un grand éclat de rire – mais la carrière de son père va l’emmener de Monaco où il passe “une enfance extraordinaire”, à Paris où ce dernier sera chef d’orchestre du Lido ! Enfant il rencontrera ainsi Joséphine Baker, Nougaro et bien d’autres.

Au conservatoire de Monaco, de 1968 à 1970, il apprend le piano dont son oncle Pierrot a fait son métier au Lido.

Arrivé à a la capitale il poursuit son apprentissage à Montreuil où il se met à la trompette et aux percussions. Ses parents se séparant Freddy retourne à Bordeaux où dès l’âge de 16 ans il rejoint la formation de bal de Denis Grey. Lors de notre entretien je sentirai ce respect envers ce genre d’orchestre – il n’emploiera jamais le mot baloche – qui pour lui a été une belle école de trompettiste tout terrain.

A l’époque il écoute déjà du jazz, Miles Davis bien sûr – dont posters et photos couvrent les murs de son appartement bordelais tout proche du Consulat de…Monaco – Chet Baker évidemment ainsi que Freddie Hubbard et les Brecker Brothers. Sur scène dans les bals il utilise déjà une pédale wah-wah ou d’autres effets.

Chance pour lui et sa soif de vivre il part ensuite comme chef d’orchestre au Club Med pour quatre saisons ! La liberté, la fête, les filles et le reste “comme dans le film, pareil !”. Tout s’arrête au petit matin à Marbella où une voiture lui coupe la route en pleine ville ; bon d’accord Freddy roulait à 130 mais ce n’est pas une raison… Hôpital, la rate en moins et bien des années plus tard lors d’une radio la découverte que sa main droite, celle des pistons, est partiellement bloquée !

Retour dans la région où il retrouve les bals avec l’orchestre réputé de Marcel Debernard. On est à Périgueux en1983, les DJ ne vont pas tarder à sévir…

Très rapidement il va intégrer une formation conforme à ses goûts musicaux créée par Didier Lamarque et qui trente ans après ravit toujours le public : Post Image.

Le succès arrive vite, l’époque est propice à ce jazz fusion, les contrats s’enchaînent et un premier disque sort en 1986. Cette même année le groupe assure la première partie de Miles Davis à Andernos. Freddy n’osera pas aborder son idole, diva distante et intimidante. Tournées en France, en Europe pour ce groupe qui autour d’un noyau dur, comment ne pas citer Dany Marcombe ou Patrice Lamera, sera un véritable creuset de musiciens dont beaucoup se retrouvent régulièrement dans la Gazette Bleue n’est-ce pas Roger, Thomas, Léon, Jean-Christophe, Anthony et tant d’autres. Premières parties de grandes stars et cette fois rencontres sympathiques de Wayne Shorter, John Mc Laughlin, Tania Maria ou Roy Hargrove complètement défoncé et miraculeusement au top sur scène. ..

Bien sûr Freddy va jouer dans les clubs bordelais de l’époque, le Jimmy, l’Alligator comme il le fait actuellement mais moins régulièrement à l’Apollo, au Tunnel ou au Jamón Jamón. Il s’est lassé des endroits où les musiciens sont sous payés et mal traités, à table notamment car c’est un fin gourmet qui cuisine de bons plats traditionnels français ou africains ; le tout arrosé de bons vins une autre de ses passions.

En 1999 une opportunité se présente, son père lui propose de monter un orchestre estampillé « Le Lido » pour une tournée en Éthiopie ! On n’y pense pas forcement mais ce pays c’est aussi une ville moderne Addis Abeba avec ses grands hôtels et ses casinos. Deux connaissances bordelaises seront du voyage, Léon Schelstraete et Loic Demeersseman ; la belle vie pendant quelque temps.

Au début des années 2000 il va passer un temps à l’ennemi, Toulouse, où il joue aussi bien du reggae, de la salsa avec Obatala – “j’adore, ça au moins c’est gai, ça bouge le cul” – que du jazz avec le « Jazz Time Big Band » et Steve Lacy. Parallèlement il reste bien sûr toujours membre de Post Image.

Retour à Bordeaux où il enchaîne les soirées privées plus lucratives que les clubs – il continue toujours – et participe au collectif « Incroyable Jungle Beat » avec Denis Gouzil, Stéphane Huchard et Cyril Atef et le bassiste Dominique di Piazza. Trois albums de funk et de groove sortiront.

Même si c’est plus dur, Post Image tourne toujours, enregistre régulièrement des albums dont Freddy compose certains titres. Il compose chez lui sur un super clavier Yamaha tout récent. En 2010 il a d’ailleurs composé la musique du court métrage « Jazz » tourné à Bordeaux (visible sur YouTube), son Ascenseur pour l’échafaud à lui. . Cet automne Post Image vient d’enregistrer au Rocher de Palmer avec une nouvelle fois le chanteur gallois John Greaves, le saxophoniste Alain Debiossat et un album devrait ainsi sortir en fin d’hiver. Ils répètent peu se connaissant par cœur, « pas la peine de perdre du temps à pinailler ou à fumer et picoler », ils utilisent le net pour échanger les compos ou des prises.

Eclectique Freddy Buzon ? Encore plus que vous ne le pensez, il est même parti en tournée trois mois avec…le cirque Gruss !

Ainsi Freddy quand il le peut va rejoindre son père retiré au Cap Ferret pour des parties de pêche ou de chasse sous-marine. Freddy aime la musique mais il aime surtout la vie “sans religion et sans interdits”.

A la fin de notre entretien, mené au son de FIP, on parle un peu boutique et il me montre sa dernière trompette une magnifique Zeus Olympus – comme Winton Marsalis – qu’il utilise maintenant après avoir joué longtemps sur des Bach. Il évoque des collègues trompettistes, Médéric Collignon avec qui il s’entend bien, Mickaël Chevalier qu’il trouve excellent et le très bon Olivier Gay du groupe Isotope (vainqueur du tremplin Action Jazz 2014).

Il ne parle pas de lui alors je m’en charge pour ceux qui ne le connaîtraient pas. Freddy c’est notre Miles mais en plus accessible, une parfaite maîtrise de l’instrument en acoustique pur, en amplifié avec ou sans effets, en sourdine ou non. Il est capable de tout jouer de la sensibilité de Chet à la violence du jazz fusion, c’est un très grand trompettiste, bugle compris. Freddy c’est en plus une grande gentillesse sous ses airs d’éternel ado avec ses chemises à fleurs et sa coupe de cheveux à houppette.

Je le laisse, le soir il joue en duo à l’Univers rue Lecocq à Bordeaux et tant pis si comme la dernière fois où je l’ai vu au Jamón Jamón il n’y a pas trop d’écoute, c’est un peu la loi du genre et même si une seule personne vient le remercier à la fin il sera satisfait. Freddy il est cool.