Daniel Zimmermann réinvente Gainsbourg au Cuvier

par Philippe Desmond, photos Géraldine Gilleron.

Le Cuvier (Rocher de Palmer hors les murs) , Artigues-près-Bordeaux le 19 octobre 2024.

Il y a déjà deux ans, Daniel Zimmermann surprenait son monde en sortant un album autour des musiques de Serge Gainsbourg. Ce dernier a été souvent repris en jazz mais ici il s’agit vraiment d’autre chose, des, je cite Daniel, « Variations sur la musique de Serge Gainsbourg ». Le tromboniste arrangeur la transporte ailleurs, le thème originel des chansons étant parfois bien caché. Il puise aussi dans un répertoire ancien avant que ne naisse le personnage de Gainsbarre. Ainsi retrouve-t-on « Chez les Yé-yé » de 1963 sur l’album « Gainsbourg Confidentiel » ou encore « New York USA » et « Machins Choses » sur le disque « Gainsbourg Percussions » en 1964.

Ce soir Daniel Zimmermann se présente avec presque la formation de l’album, lui au trombone bien sûr, Pierre Durand à la guitare, son vieux complice Julien Charlet à la batterie et une surprise à la basse électrique, Elise Blanchard.

On pourrait presque résumer le concert au premier titre « SS in Uruguay » qui rassemble plusieurs musiques, plusieurs époques de Gainsbourg. C’est le trombone qui mène la mélodie s’appuyant sur un rythmique des plus engagées. Soudain un peu de calme, puis la guitare de Pierre Durand qui s’envole, très loin. Quel remarquable guitariste qui semble souffrir tant il grimace tout en nous livrant un plaisir invraisemblable. Son duo, ses duels avec le trombone incisif à la fois rond et déchirant de Daniel est une vraie curiosité musicale, un son inédit.

Voilà « New York USA » inspiré sinon pompé par Gainsbourg (il maîtrisait parfaitement cet art) au percussionniste nigérian Babatunde Olatunji. C’est Daniel avec son humour qui nous le raconte. Ses interventions entre les titres renseignent sur ce qu’on va entendre et peut-être reconnaître, sont un vrai régal. Sur ce titre Elise se fait remarquer par un solo qui groove fort. Daniel la connaissait depuis pas mal de temps et il est ravi qu’elle l’ait rejoint dans son équipe ; nous aussi !

Daniel triture la musique d’une de ses idoles donc, mais il sait aussi la réinventer avec délicatesse comme « Les Amours Perdus » ; Guitare et trombone y distribuent de l’émotion. Voilà un « Comic Strip » méconnaissable et un groove « haineux » de Julien Charlet dans lequel se perdent les bulles, les chebam, pam, blop, wizz. Intense !

 » Bonnie and Clyde », « La ballade de Melody Nelson » bien que customisés nous rappellent quel compositeur était Gainsbourg, ces versions en découvrent de nouvelles richesses.

Le quartet va aussi reprendre des titres de l’Album « Montagne Russes » de Daniel Zimmermann, le morceau titre, « mamelles » et le déchirant  » Dans le nu de la vie » faisant référence au génocide au Rwanda en 1993 ; la plainte du trombone, les bruitages de guitare, la lourdeur du tambour font de cette longue suite une moment très troublant.

En rappel Daniel vient nous chanter « Intoxicated man » ce titre autobiographique de Gainsbourg/Gainsbarre de 1962, « Je bois. À trop forte dose. Je vois. Des éléphants roses. Des araignées sur le plastron. D’mon smoking. Des chauves-souris au plafond. Du living-room » ; un pur rôle de composition pour lui ! Tiens au fait sur cet album « Gainsbourg n°4 » figurait « Black trombone » , où est-il passé ce soir ? A la trappe, trop évident pour le fantasque tromboniste qu’est Daniel Zimmermann.

Une partie du public attirée par le nom « Gainsbourg » sur l’affiche, venu peut-être entendre des reprises n’a pour autant pas été déçu, au contraire, il a entendu une nouvelle œuvre résumant à elle seule ce que peut être le jazz : liberté, virtuosité (quatre musiciens exceptionnels), créativité, émotion. Un très beau concert.